Friday, February 19, 2010

Saddam Hussein répond au FBI : extraits

PAR CLAIRE RICHARD

Décembre 2003 : Saddam Hussein est fait prisonnier par les forces américaines. En janvier et février 2004, il est longuement interrogé par le FBI, qui le livre ensuite à la justice irakienne. Au terme d'un procès fleuve ouvert en juillet 2004, l'ancien dictateur est condamné à mort et exécuté par pendaison le 30 décembre 2006.

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Ces entretiens étaient disponibles en version expurgée sur le site de The National Security Archive. Les toujours défricheuses Editions Inculte les ont traduits et adaptés, et les publient le 17 février (« La Chute. Interrogatoires de Saddam Hussein par le FBI », 240 pages, 17 euros). Questionné sur son rôle de leader, les guerres menées par l'Irak, les crimes dont on l'accuse, les relations avec les Etats-Unis, ou encore les armes de destruction massive, Saddam Hussein répond avec le souci constant de se justifier face à l'Histoire. Et de ne rien avouer de compromettant. Malgré les coupes de la censure américaine, c'est une plongée inédite dans l'histoire récente de l'Irak, dont BibliObs publie les bonnes feuilles.

* * *

L'accession au pouvoir : « J'avais des obligations aux yeux de Dieu »

- Un jour de 1979, Bakr [militaire et membre du Baas, président de la République d'Irak de 1968 à 1979, dont Hussein fut le vice-président, ndlr]m'a contacté et demandé de le retrouver à son bureau, au palais. Il m'a annoncé qu'il n'avait plus la volonté ni la capacité d'être président. Il m'a supplié d'assumer ses fonctions, en me disant que si je n'acceptais pas la méthode classique, il annoncerait la nouvelle à la radio. Je lui ai répondu que cette façon d'annoncer sa succession ne serait bonne ni pour le pays, ni pour le peuple ou le Parti. À l'étranger, en particulier, on penserait que quelque chose n'allait pas en Irak. [...] En janvier 1979, le CCR [Conseil de Commandement de la Révolution, organe de décision du parti] a été convoqué. [...] C'était comme une réunion de famille. Nous sommes passés par toutes les émotions, y compris la tristesse. Le changement de présidence a été mené en accord avec la constitution. Un vote a été organisé.Je ne me souviens plus s'il s'est effectué à bulletin secret ou à main levée. J'ai été désigné secrétaire général du Parti et président de l'Irak.

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ADNAN/SIPA
Saddam Hussein

- Avez-vous été changé par votre accession à la présidence ?

- Non, je suis simplement devenu plus fort et plus proche de mon peuple. [...]

- Que seriez-vous devenu si l'on vous avait permis de quitter le gouvernement ?

- Une personne lambda, un fermier peut-être. Mais j'aurais continué à être membre du Parti et à me rendre aux réunions.

- Il est très difficile de vous imaginer en fermier.

- J'avais peur de devenir un personnage public. Ma situation et mes obligations ont changé et ont empiété sur ma vie personnelle. Lorsque j'étais président, des milliers de personnes se sentaient proches de moi.

- Jusqu'en 1995, le peuple ne vous a pas élu.

- Oui, mais la révolution m'a porté. Et entre 1995 et 2002, le peuple a voté pour moi. Après les élections, ma relation avec le peuple s'est intensifiée ; je me sens maintenant redevable envers ceux qui ont voté pour moi. J'avais des obligations envers le peuple, non seulement vis-à-vis de la loi, mais également aux yeux de Dieu.

Aux accusations de crimes de guerre :
« Je n'ai pas à répondre à ce genre d'allégations mensongères... »

- Je ne connais pas le nombre de Koweïtiens, militaires ou civils, tués durant les combats ou les atrocités présumées, précédemment mentionnées. C'était la guerre. L'Irak est l'un des rares pays du tiers-monde à avoir signé la convention de Genève. Les États-Unis sont un pays évolué qui n'est pas censé commettre les mêmes erreurs qu'un pays du tiers-monde. D'ailleurs, combien y a-t-il eu de civils irakiens tués, d'abus commis contre les Irakiens, ou de prisonniers torturés par les forces américaines ? [...]

- Quelle était l'importance de la résistance koweïtienne durant l'occupation et quels efforts les services de renseignements irakiens ont-ils fait pour y mettre un terme ?

- Je n'ai aucune réponse à apporter sur cette affaire.

- Pouvez-vous être plus précis ?

- Je ne suis pas de ceux qui abandonnent leurs amis.

- Quelle était votre politique concernant les prisonniers de guerre quand vous étiez au pouvoir ?

- Je ne suis pas l'ancien président de l'Irak, je suis le président de l'Irak. Je respecte toujours la volonté du peuple. L'Irak respecte la convention de Genève et demande aux autres pays d'en faire autant. Dans mes discours, j'ai toujours demandé aux soldats de respecter la convention et de rester fidèle à leurs principes religieux. [...]

- Revenons au sujet des prisonniers de guerre américains...

- Je ne connais pas de tortures ou de maltraitances attestées par les examens médicaux effectués après leur rapatriement. Ces découvertes ont-elles été faites par les Américains ou par un corps d'enquête indépendant ? Car aucun mauvais traitement n'est tolérable, que ce soit envers un citoyen irakien ou un citoyen d'un autre pays. Le gouvernement irakien n'a jamais eu connaissance d'actes de ce type. [...]

- Pouvez-vous nous parler de l'utilisation de boucliers humains koweïtiens, japonais et occidentaux, faite par l'Irak durant la première guerre du Golfe ? Ils étaient placés aux endroits stratégiques tels que les centres de communication et les positions militaires.

- Jamais aucun de ces individus n'a été placé de force sur nos positions militaires. Le gouvernement irakien n'a pas empêché les volontaires de servir de boucliers humains afin de protéger certaines installations comme les centres de communication.

- Y avait-il des volontaires en 1991 ?

- Je ne m'en souviens pas. [...]

- De nombreuses ONG et associations humanitaires ont enquêté sur la réponse armée du parti Baas aux révoltes de 1991 [insurrections dans le Nord kurde et le Sud chiite, violemment réprimée par le régime : on estime les victimes à près de dix mille morts, ndlr]. Human Rights Watch, une ONG indépendante, a notamment rencontré un résident de Bassorah, témoin des affrontements. Selon lui, les militaires ont utilisé des enfants attachés aux tanks en guise de boucliers humains. Qu'avez-vous à répondre à cela ?

- C'est un pur mensonge. En Irak, tous les enfants ont un père, une mère, une famille. Il n'y a pas d'orphelins dans nos rues. Où étaient les parents de ces trois enfants ? Pourquoi voulez-vous qu'un conducteur de blindé agisse de la sorte ? Quel serait l'intérêt de prendre des enfants en guise de boucliers humains face à des monstres qui brûlent et torturent ? C'est une invention des Occidentaux. Je n'ai même pas à répondre à ce genre d'allégations mensongères.

La guerre Iran-Irak (1980-1988) :
« Je parlerai de tout »... sauf des armes chimiques

- La déclaration de guerre contre l'Iran en septembre 1980 était-elle motivée par les menaces iraniennes ou par la volonté de récupérer l'estuaire du Chatt al-Arab et les territoires occupés ?

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Aar/Sipa
Saddam Hussein dans les années 80 durant la guerre Iran-Irak

- La guerre a débuté le 4 septembre, et non pas le 22 comme l'affirment les Iraniens. Imaginez, un jour, votre voisin roue de coups votre fils... Le lendemain, il martyrise vos vaches. Puis il endommage votre exploitation en déréglant le système d'irrigation. Après un certain nombre d'incidents, vous finissez par aller le voir, vous vous plaignez des dégâts occasionnés, vous le sommez d'arrêter", poursuit Hussein, qui affectionne les métaphores rurales. "Généralement, un avertissement suffit, mais avec l'Iran, ça n'a pas été le cas. L'Iran a violé les accords d'Alger, traité que nos deux pays avaient signé en 1975 et qui légiférait sur les modalités de navigation sur le Chatt al-Arab. L'Iran a également interféré dans la politique irakienne, ce qui constituait une violation caractéristique de notre accord. L'Irak n'a pas eu d'autre choix que de déclarer la guerre, afin de mettre un terme à l'ingérence de l'Iran. [...]

- L'utilisation d'armes chimiques contre l'Iran au cours de la période défensive était-elle une nécessité ? Auriez-vous perdu la guerre sans cela ?

- Je n'ai aucune réponse à apporter à cette question. Je ne répondrai pas. [...]

- Avez-vous utilisé ces armes à des fins défensives ?

- Vous pouvez tourner la question dans tous les sens, je ne vous répondrai pas. Je parlerai de tout, à moins que cela ne nuise à mon peuple, à mes amis ou à l'armée.

La guerre du Golfe :
« Les États-Unis ont fait de l'Irak un ennemi pour des raisons économiques »

[...] Lorsqu'un pays est en désaccord avec les États-Unis, il est considéré comme un ennemi. Les États-Unis ont fait de l'Irak un ennemi pour des raisons économiques. Des groupes de pression américains, comme les fabricants d'armes et certains militaires, ont privilégié la guerre pour des raisons financières. C'est le cas des compagnies qui vendent de tout, des tapis aux tanks, afin de soutenir une guerre. L'Amérique a découvert que la guerre en Afghanistan n'était pas suffisante pour faire vivre l'industrie des armes aux États-Unis. Ils ont alorsdéclaré la guerre à l'Irak. Après l'effondrementdel'Union soviétique, toutes ces raisons, internes etexternes, se sont combinées pour amener les États-Unis à faire de l'Irak leur ennemi.[...]

- Est-ce l'invasion du Koweït par l'Irak qui est à l'origine du désaccord entre l'Irak et le reste du monde?

- L'Amérique et le Koweït avaient pour projet d'attaquer l'Irak. Nous étions au courant de leurs intentions. Si j'avais eu les armes dont vous parlez, aurais-je laissé les forces américaines rester au Koweït sans les attaquer ? J'aurais aimé que les États-Unis n'aient jamais eu l'intention d'attaquer l'Irak.

- L'invasion du Koweït a-t-elle également précipité les sanctions prises contre l'Irak ?

- Vous qui êtes américain, je vous le demande, quand les États-Unis ont-ils arrêté les livraisons de céréales en Irak ? En 1989 [c'est-à-dire avant l'invasion du Koweit de 1990, ndlr]. Quand les Etats-Unis ont-ils contacté les pays européens afin de boycotter les ventes d'équipement technologiques en Irak ? En 1989. Washington planifiait la destruction de l'Irak, une intention poussée par le sionisme, et ses effets sur les élections américaines. Israël voyait dans l'Irak une dangereuse menace militaire à la fin de la guerre Iran-Irak. J'en suis intimement persuadé.


Les armes de destruction massive :
« Les États-Unis ont convaincu le monde de leur position sur l'Irak »

- Nombreux sont ceux qui pensent que le gouvernement irakien était réticent à coopérer avec les inspecteurs de l'ONU.

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Aar/Sipa
Saddam Hussein en 1998

- L'Irak coopère depuis sept ans. Nous avons garanti aux inspecteurs un accès total à tout le territoire, y compris aux palais présidentiels. [...] Certains membres du gouvernement étaient dans un premier temps réticents à l'idée de coopérer avec les inspecteurs, je l'admets. Il s'agissait de travailleurs loyaux, très investis dans leur fonction. Il était difficile pour eux de s'entendre dire un jour "donnez accès à vos dossiers, cédez tout votre travail et vos secrets d'État à des étrangers". Cela a pris du temps et s'est déroulé par étapes. En 1998, l'Irak s'était plié aux résolutions de l'ONU. [...] Les raids menés par les États-Unis contre l'Irak en 1998, suite à la tentative d'assassinat présumée contre l'ancien président George Bush, étaient injustifiés et n'avaient pas de cause réelle. Pour aucune de ces deux attaques les États-Unis n'ont obtenu l'accord des Nations unies. Bien que l'initiative de ces raids ait été prise par les Américains, je considère que les Nations unies ont outrepassé leur autorité et trahi leur charte en ce qui concerne l'Irak.

[...] Au Vietnam, les États-Unis ont utilisé des armes prohibées. L'Amérique accepterait-elle que les Irakiens inspectent la Maison-Blanche à la recherche de telles armes ? Une pareille quête serait vaine. Un pays qui accepterait d'être profané apporterait le déshonneur sur son peuple. La négociation est la méthode habituelle de résolution des désaccords, en particulier au sein des nations ; c'est la façon de faire de l'ONU.

- La communauté internationale pense que l'Irak n'a pas respecté les termes de la résolution 687 [résolution adoptée par l'ONU en 1991 contraignant l'Irak à déclarer l'existence de ses armes biologiques ou chimiques ou à les détruire, ndlr] ?

- Il y a quelque chose d'injuste dans la position de la communauté internationale. Les États-Unis ont convaincu le monde de leur position sur l'Irak. Laissez-moi réfléchir afin que je puisse vous apporter une réponse concise. Laissons le passé là où il est, non pas que nous soyons d'accord, mais afin d'optimiser notre temps. Lors de cette dernière guerre, les seuls alliés des États-Unis sont l'Angleterre. Tous les autres grands pays, dont la France, la Chine, la Russie et l'Allemagne, étaient contre ce conflit. Les États-Unis cherchaient un prétexte pour agir, or, aujourd'hui, ils ne trouvent aucune arme de destruction massive. Je tiens également à préciser que les décisions ont été prises par le gouvernement irakien et pas par moi seul. Les dirigeants ont pris des décisions qui ont donné aux États-Unis une ouverture et un motif de guerre. [...]

- Ce sont les agissements de l'Irak qui ont motivé la mise en application des sanctions de l'ONU. Les actions des dirigeants irakiens et, dans certains cas,leur inaction, ont contraint les Nations unies à persévérer dans leurs sanctions. [...]

- Nous nous conformons totalement à toutes les décisions des Nations unies. Ce sont les Etats-Unis qui doivent être tenus pour responsables, pas les Nations unies. Nous sommes les derniers esprits libres.

« Mon avenir est entre les mains de Dieu »

- Vous m'avez clairement dit que vous vous considériez toujours comme le président de l'Irak, bien qu'il soit aujourd'hui entendu que vous ne l'êtes plus puisque les Irakiens ont un nouveau représentant. Vous n'êtes plus le président de l'Irak, c'est terminé.

- Oui, je sais, mais que puis-je y faire puisque c'est le choix de Dieu ?

- Avez-vous une idée de ce que vous réserve l'avenir ?

- Mon avenir est entre les mains de Dieu.

- Dieu est très occupé, il a sans doute des problèmes plus importants que vous et moi. [...] Votre vie touche à sa fin. Voulez-vous que ce qui vous reste d'existence ait un sens ?

- Oui.

- Vous vous êtes entouré de personnalités faibles qui aujourd'hui refusent d'endosser la responsabilité des actions de l'ancien gouvernement. Les autres détenus de haut rang font peser sur vous toutes les erreurs passées.

- Qu'est-ce que je peux y faire ? Il faudra sans doute que j'endosse la responsabilité et les blâmes pendant que les autres tenteront de prendre leurs distances et de se déculpabiliser.

© Inculte.

«La Chute. Saddam Hussein, entretiens avec le FBI», traduit et adapté de l'anglais (américain) par Eva Roques, préface de Pierre-Jean Luizard, Editions Inculte, 240 p. 17 euros. Sortie le 17 février.


http://bibliobs.nouvelobs.com/20100216/17760/saddam-hussein-repond-au-fbi-extraits-13


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