« Si je témoigne sous le sceau de l’anonymat* c’est pour deux raisons. La première est que je ne veux pas être assimilé aux émeutiers. Si je comprends leur colère, je désapprouve leur folie destructrice. La seconde est que je ne désespère pas de trouver un moyen d’aller vivre en Espagne ou en France. Pourquoi partir à 27 ans ? Depuis 2006, année où j’ai obtenu une licence en sciences économiques, je suis au chômage. Les entreprises publiques ne recrutent que les maarifa [« connaissance », « piston », dans le jargon populaire, NDLR], mais le chômage n’est pas le pire dans mon quotidien. Le cadre de vie est infect, je n’ai ni loisirs ni perspectives. Voir ma copine est déjà une prouesse, la rencontrer dans un cadre intime relève du miracle. Même le stade de foot, jadis défouloir absolu, est devenu infréquentable : trop de violence. Je ne l’avoue pas à ma mère, cela lui ferait sans doute de la peine, mais j’ai sombré dans le kif, seule échappatoire à l’oisiveté. L’emploi des jeunes et les mécanismes d’aide aux jeunes entrepreneurs ? Une totale imposture. L’Ansej [Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes] est aussi bureaucratique que l’administration et demande autant de garanties qu’une banque privée. Tous les dossiers que j’ai fournis ont été refusés, et mes idées rejetées par des responsables n’ayant même pas mon niveau d’instruction. Il y a longtemps que j’ai cessé d’envoyer mon CV aux boîtes de recrutement et je passe mes journées face à la mer, m’imaginant de l’autre côté. M’immoler par le feu ou devenir aspirant kamikaze ? Je préfère risquer ma vie en essayant de rejoindre l’autre rive sur une embarcation de fortune. C’est la seule perspective qui me reste. Le seul rêve qui m’évite de sombrer dans la folie et le désespoir. »
Propos recueillis par Cherif Ouazani à Bab el-Oued.
* Le prénom Fouad est un pseudonyme.
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