Critique : « Pour un seul de mes deux yeux » est incontestablement l’un des meilleurs documentaires à proposer un point de vue sur les impasses du conflit israélo-palestinien, parmi la multitude présentée ces dernières années sur les écrans français. C’est aussi l’un des moins déterministes, et pourtant l’un des plus percutants. Il faut rappeler qu’Avi Mograbi est israélien, ce qui lui permet une liberté de circulation impensable pour l’un de ses confrères palestiniens, dans un pays qu’il estime d’ailleurs : « pratiquer l’apartheid d’un côté, et une formidable démocratie pour les juifs, de l’autre ». Si l’image documentaire et la présence de la caméra sont devenues bien communes là où il réside, Mograbi restitue les faits ou les paroles qu’il a sélectionnés avec une violence non contenue que permet sa position privilégiée et qui distingue d’emblée son propos. Mais son film ne se résume pas à un cri de colère.
Le cinéaste s’intéresse également de manière suivie et très instructive à deux mythes juifs. D’une part, celui de la forteresse de Massada, où le suicide prétendument héroïque et exemplaire des zélotes assiégés par les romains, aujourd’hui travesti, devient le ciment d’un discours parfois fasciste. De l’autre celui de Samson qui, en se suicidant afin de tuer ses ennemis, est considéré par Avi Mograbi comme « le premier kamikaze de l’histoire juive ». En désignant ces terroristes, kamikazes et extrémistes, justement entourés par un mur d’enceinte érigé par les romains, Mograbi ne veut pas seulement montrer que ce qui peut héroïser l’histoire juive constitue justement ce qui peut diaboliser l’actuelle fronde palestinienne. Il invite le spectateur à se faire sa propre opinion, au cours de longues scènes morcelées et propres à une construction en spirale. Quand la majorité des documentaires choisissent, soit de secouer, soit de privilégier la réflexion par une mise en scène posée et éloignée de la prise sur le vif (comme avec le récent « Mur » de Simone Bitton), Mograbi joue sur les deux terrains. La plupart des flèches qu’il décoche atteignent effectivement leur cible.
Julien Welter
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Quatre films de Avi Mograbi
POUR UN SEUL DE MES DEUX YEUX
Alors que la seconde Intifada plonge les Israéliens dans la terreur et les Palestiniens dans le dénuement et la frustration, Avi Mograbi croit pourtant en la force du dialogue, avec les Palestiniens assiégés et avec l'armée israélienne omniprésente. Pour s'interroger sur le conflit, le réalisateur convoque les mythes de Samson et de Massada.
2005 - 1h40
AOÛT (avant l'explosion)
Avi Mograbi déteste le mois d'août. Il symbolise à ses yeux tout ce qu'il y a de plus insupportable en Israël. Au fil des 31 jours de ce mois quelconque, il sillonne les rues avec sa caméra et nous livre ses réflexions intérieures par le biais de scènes fictives, dans lesquelles il joue à la fois son propre rôle, celui de sa femme et celui du producteur d'un film qu'il prépare sur le massacre de musulmans par un colon israélien dans une mosquée à Hébron.
2003 - 1h12
HAPPY BIRTHDAY MR MOGRABI
Avi Mograbi est engagé pour faire un film sur les 50 ans de l'état d'Israël. Il se rend compte que deux anniversaires ont lieu en même temps : son propre anniversaire, et celui des 50 ans de la Nakba, la "catastrophe", le début du problème des réfugiés palestiniens dépossédés de leurs terres après la guerre de 1948.
1999 - 1h17
COMMENT J'AI APPRIS à SURMONTER MA PEUR ET à AIMER ARIEL SHARON
En 1996, alors que la campagne électorale en Israël approche, Avi Mograbi décide de faire un film sur la figure politique contestée d'Ariel Sharon. Sorte de film dans le film, comme son oeuvre suivante Happy birthday Mr Mograbi, Comment j'ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon raconte l'histoire du film que Avi Mograbi réalise sur Sharon et des problèmes conjugaux qui s'ensuivent dans son ménage.
1997 - 1 h
3 Courts métrages d'Avi Mograbi : Deportation (1989) - Relief (1999) - Wait, it's the soldiers,
I have to hang up now (2002).
Extraits de "Pour un seul de mes deux yeux" (Avenge But One Of My Two Eyes)
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